1.1 Imagerie géophysique


Introduction générale

La géophysique appliquée est l’étude des propriétés physiques du sol et de leurs interactions avec des champs physiques naturels ou artificiels. Les méthodes géophysiques peuvent être appliquées à la résolution de problèmes très variés en ingénierie.

Personnellement, je m’intéresse surtout aux applications de la géophysique dans les divers domaines de l’exploration minérale. Les gisements sont effectivement des anomalies géologiques, c’est-à-dire qu’ils offrent des contrastes de propriétés minéralogiques, chimiques et physiques avec leur milieu environnant. Prenez par exemple le modèle conceptuel d’un gisement de cuivre porphyrique montré à la Figure 1.

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Figure 1. Modèle conceptuel des propriétés physiques d’un gisement de cuivre porphyrique et de sa réponse géophysique. Figure modifiée de John et al., 2010.

Ce type de gisement est caractérisé par une enveloppe d’altération hydrothermale, c’est-à-dire que les fluides minéralisateurs qui accompagnent le granite peuvent transformer la roche hôte à proximité de l’intrusion. Ces transformations se traduisent par des changements dans la composition chimique et minéralogique de la roche, ce qui lui donne des propriétés physiques variables.

Dans l’exemple de la Figure 1, chaque unité géologique interagit différemment avec le champ magnétique naturel de la Terre selon leurs propres propriétés magnétiques. En mesurant le champ magnétique au-dessus de l’intrusion, soit à la surface, à bord d’un aéronef, ou même en forage, les instruments géophysiques peuvent détecter une anomalie dans le champ magnétique de la Terre. Bien sûr, ce ne sont pas tous les gisements qui sont caractérisés par des contrastes des propriétés physiques. Les gisements d’or, par exemple, ont tendance à s’exprimer de façon beaucoup plus subtile.

L’utilisation des méthodes géophysiques n’est justifiée que lorsque le problème qu’on tente de résoudre peut être modélisé par des contrastes de propriétés physiques. La liste suivante résume les propriétés physiques les plus pertinentes pour les applications géophysiques.

  • Densité volumique de masse et porosité
  • Susceptibilité magnétique
  • Conductivité/résistivité électrique
  • Permittivité électrique
  • Chargeabilité
  • Vitesse sismique
  • Teneur en éléments radioactifs (p. ex. K, U, Th)

Dans le cadre du cours GLQ2200, on se limitera à l’étude de la densité volumique de masse et de la susceptibilité magnétique des géomatériaux. Ces propriétés sont respectivement à l’origine des signaux mesurés en gravimétrie et en magnétométrie.

Avant d’aller plus loin dans notre description des méthodes de gravimétrie et de magnétométrie, il faut comprendre la nature des différentes propriétés physiques des roches, comment on peut les mesurer, quelles sont les valeurs typiques pour différents matériaux, et surtout comment elles dépendent d’une multitude de facteurs comme les attributs minéralogiques et texturaux des géomatériaux. Le cours traitera également des notions de base en traitement de signal et offrira un survol des concepts de modélisation numérique pour interpréter les données géophysiques.


Limites de l’imagerie géophysique

On entend souvent que la géophysique appliquée nous permet de “voir” ou d’imager le sous-sol. Ce n’est pas exactement le cas. En étudiant les phénomènes physiques mesurables à partir de la surface terrestre, les spécialistes en géophysique peuvent reconstruire la distribution spatiale (ou même temporelle) des propriétés physiques du sol. Ces propriétés sont intéressantes pour divers domaines de l’ingénierie, car elles sont souvent directement reliées à la nature des matériaux qui composent la sous-surface. Les méthodes géophysiques permettent donc de faire une imagerie indirecte de ce qui se cache sous nos pieds.

La géophysique a des applications évidentes pour la cartographie géologique, pour l’estimation de ressources minérales, en géotechnique, en génie civil et en sciences environnementales. Avant d’aller plus loin dans la définition des méthodes géophysiques, il faut établir les principaux facteurs qui contribuent au succès (ou pas) des levés géophysiques. Ces facteurs incluent

  • la résolution du levé;
  • l’échelle du levé;
  • les contrastes de propriétés physiques dans le sol et le choix de la méthode géophysique;
  • le ratio signal-sur-bruit;
  • les défis logistiques;
  • l’interprétation des résultats.

Si ces principes sont mal compris, ils peuvent bien entendu devenir les talons d’Achille de la géophysique appliquée. Nous allons maintenant voir plus en détail ce que chacun des facteurs signifie pour un levé géophysique.

Une question de résolution

La résolution d’un levé géophysique représente la quantité d’information recueuillie par unité de distance. Plus la résolution d’un levé est grande, plus il contient d’information et plus il est dispendieux (plus long à réaliser et plus compliqué au point de vue de la logistique).

On peut faire l’analogie entre la résolution d’un levé géophysique et celle d’une image. Prenons par exemple la Figure 2. Cette image est le portrait d’une personne bien connue où on a observé seulement 15 points (pixels) dans les directions de la largeur et de la hauteur. Pouvez-vous deviner qui est représenté sur le portrait? Probablement pas, parce que la résolution de l’image (du levé) est insuffisante. Cliquez sur la partie de droite pour révéler l’image originale.

Levé géophysiqueRéalité

Figure 2. (A) Le levé géophysique offre une représentation incomplète des propriétés physiques du sol à cause d’une résolution trop faible : on ne peut pas deviner de qui il s’agit sur la photo. (B) La réalité : il s’agit évidemment de l’astronaute Eileen Collins.

On peut proposer une interprétation adéquate de la photo seulement lorsque sa résolution le permet. Le même principe s’applique en géophysique.

Une question d’échelle

Les problèmes d’échelles sont partout en géophysique. L’échelle d’un levé fait référence à l’étendue de sa couverture par rapport au problème à résoudre ou à la cible recherchée. La résolution du levé est souvent liée à son échelle pour des raisons logistiques. À petite échelle, il est possible d’obtenir beaucoup de détails dans une région en particulier, mais on pourrait complètement manquer la vue d’ensemble du problème. Ce concept est illustré à la Figure 3. Pouvez-vous deviner de quoi il s’agit sur la photo? Cliquez sur la partie de droite pour révéler l’image originale.

Levé géophysique (A)Réalité (B)

Figure 3. (A) Le levé géophysique offre une représentation incomplète des propriétés physiques du sol à cause d’un mauvais choix d’échelle : photo difficile à interpréter. (B) La réalité : avec la bonne échelle on comprend le contexte de la photo.

En voyant l’image complète, on comprend qu’il s’agit de la texture du recouvrement sur le toit d’un édifice. Il faut comprendre que si on avait seulement accès à l’image (au levé) à petite échelle, on aurait pu passer beaucoup de temps à l’interpréter sans connaître le contexte dans lequel l’image a été prise.

Une question de propriétés pétrophysiques

On entend par propriétés pétrophysiques les propriétés physiques des roches, ou plus généralement des géomatériaux. Comme les propriétés physiques sont des propriétés intrinsèques, leur étude nous permet de faire la caractérisation et la discrimination des géomatériaux. Les propriétés physiques dictent la façon dont les matériaux interagissent avec les phénomènes physiques. Par exemple,

  • un gisement avec une masse volumique excédentaire génère un potentiel gravitationnel;
  • une roche aimantable placée dans un champ magnétique génère à son tour un champ magnétique;
  • la vitesse de propagation des ondes sismiques dépend des propriétés d’un matériau;
  • des sédiments conducteurs sont favorables à la circulation d’un courant électrique.

Les méthodes géophysiques réagissent à des contrastes de propriétés physiques spécifiques. En décomposant les problèmes d’ingénierie en modèle conceptuel de propriétés physiques, les spécialistes en géophysique peuvent recommander l’utilisation d’une méthode en particulier. Une mauvaise compréhension des propriétés physiques du problème ou un mauvais choix de la méthode géophysique réduit considérablement les chances de succès. Prenez par exemple la Figure 4, ou on voit des contrastes de luminosité en forme de cercle. À première vue, on peut distinguer quelques domaines dans l’image qui sont caractérisés par des luminosités contrastantes. Cliquez sur l’image de droite pour révéler l’image originale.

Levé géophysique (A)Réalité (B)

Figure 4. (A) Le levé géophysique offre une représentation incomplète des propriétés physiques du sol à cause d’un mauvais choix de méthode géophysique : on voit seulement quelques domaines. (B) La réalité : en utilisant la couleur comme propriété on voit plus de domaines différents.

On peut comparer l’effet de choisir la mauvaise méthode géophysique avec l’image en tons de gris. Celle-ci ne nous permet pas de l’interpréter aussi bien qu’on le puisse avec une image en couleur (si on avait choisi une méthode géophysique appropriée).

Une question de ratio signal-sur-bruit

Les sources de bruit sont nombreuses en géophysique appliquée (ici le mot bruit fait référence à une contamination par une source externe du signal anticipé). Selon la méthode géophysique, plusieurs sources de bruits prévisibles peuvent être corrigées a posteriori pendant le traitement des données. Les sources de bruits plus difficiles à prédire sont cependant plus difficiles à corriger. En général le bruit dans les mesures géophysiques peut être comparé au bruit dans une image, tel que montré sur cette photo d’un jet à la Figure 5. Cliquez sur l’image de droite pour révéler l’image non-bruitée.

Levé géophysique (A)Réalité (B)

Figure 5. (A) Le levé géophysique offre une représentation bruitée des propriétés physiques du sol à cause d’un faible ratio signal-sur-bruit : la photo n’est pas nette. (B) La réalité : on peut voir beaucoup plus de détails quand le ratio signal-sur-bruit est grand.

Une façon simple de réduire (ou au moins d’évaluer) la quantité de bruit dans les mesures géophysiques est de répéter la mesure plusieurs fois pour chaque station du levé. En général, lorsque les instruments sont bien entretenus, que l’opérateur est compétant, et que le levé est réalisé dans de bonnes conditions, le ratio signal-sur-bruit est suffisant pour permettre une interprétation des données telles quelles. Différentes opérations mathématiques peuvent être utilisées pour atténuer ou amplifier le bruit par rapport au signal. En principe il faut toujours tenter de maximiser le ratio signal-sur-bruit d’un levé géophysique.

Une question de logistique

Selon le type de terrain étudié, la couverture des levés géophysiques est souvent limitée par des défis logistiques. Par exemple, la présence de marais, de lacs ou d’accidents topographiques extrêmes peut mener à des trous dans un levé géophysique : c’est-à-dire des endroits où il est impossible de prendre une lecture. Ce concept est illustré à la Figure 6, où environ 40% des pixels ont été retirés de façon aléatoire. Bien qu’on comprenne qu’il s’agit d’une feuille manuscrite avec des équations mathématiques, on ne peut pas lire ce qui est écrit sur la feuille, car des informations essentielles sont cachées. Cliquez sur l’image de droite pour révéler l’originale.

Levé géophysique (A)Réalité (B)
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Figure 6. (A) Le levé géophysique offre une représentation incomplète des propriétés physiques du sol à cause des défis logistiques : le sens du texte est caché sur la photo. (B) La réalité : si on avait accès à des observations partout on pourrait comprendre le sens des équations.

Une question d’interprétation

La qualité de l’interprétation d’un levé géophysique dépend fortement de tous les autres facteurs énumérés précédemment. De plus, elle dépend de la quantité d’information qu’on possède a priori. C’est-à-dire des observations complémentaires comme des forages, des cartes géologiques, des plans et devis, ou n’importe quelles observations pertinentes faites antérieurement.

On peut faire une analogie entre l’interprétation géophysique et l’exemple donné à la Figure 7.

Levé géophysique (A)Interprétation (B)Réalité (C)
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Figure 7. (A) Le levé géophysique révèle la distribution des propriétés physiques du sol. (B) Une personne hautement qualifiée utilise ses connaissances antérieures et propose une interprétation des propriétés physiques du sol. (C) La réalité.

Comme vous pouvez le constater, l’interprétation ne sera jamais exactement à la hauteur de la réalité. Pour être crédible, une interprétation doit être fidèle à toutes les observations antérieures et les spécialistes en géophysique doivent montrer que toutes les conditions étaient réunies pour maximiser les chances de succès du levé géophysique.


Références

  1. John, D.A., Ayuso, R.A., Barton, M.D., Blakely, R.J., Bodnar, R.J., Dilles, J.H., Gray, Floyd, Graybeal, F.T., Mars, J.C., McPhee, D.K., Seal, R.R., Taylor, R.D., and Vikre, P.G., 2010, Porphyry copper deposit model, chap. B of Mineral deposit models for resource assessment: U.S. Geological Survey Scientific Investigations Report 2010–5070–B, 169 p.

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Dernière modification : 2024-01-27 à 13:54:10.