1.3 Susceptibilité magnétique


Définition

La susceptibilité magnétique ($\chi_m$, prononcé chi) est la capacité d’un matériau à devenir aimanté lorsque celui-ci est placé dans un champ magnétique externe. On dit qu’un matériau est aimantable quand sa susceptibilité magnétique n’est pas nulle. Avant d’aller plus loin, il faut faire un petit retour sur les concepts de base en magnétisme.

Flux et champ magnétique

Soit $\boldsymbol{B}$ une densité de flux magnétique quelconque. Dans le vide, $\boldsymbol{B}$ est associé à un champ magnétique $\boldsymbol{H}$ selon la relation

\[\boldsymbol{B} = \mu_0\boldsymbol{H} ,\]

où $\mu_0 = 4\pi\times 10^{-7}$ kg m A$^{-2}$ s$^{-2}$ est la perméabilité du vide.

Le champ magnétique peut interagir avec la matière. En effet, quand un matériau aimantable est placé dans un champ externe $\boldsymbol{H}$, celui-ci se comporte comme un aimant qui génère son propre champ magnétique. Ce champ secondaire est le champ d’aimantation, qu’on dénote $\boldsymbol{M}$. La Figure 1 montre un matériau quelconque placé dans un champ magnétique.

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Figure 1. Schéma d’un matériau aimantable placé dans un champ magnétique externe $\boldsymbol{H}$. Un champ d’aimantation $\boldsymbol{M}$ est créé dans le matériau.

Aimantation

L’amplitude du champ d’aimantation qui se crée dans le matériau est directement proportionnel avec celle du champ externe appliqué et pointe dans la même direction, on écrit que

\[\boldsymbol{M} = \chi_m \boldsymbol{H} ,\]

où $\chi_m$ est la susceptibilité magnétique du matériau.

Le champ d’aimantation $\boldsymbol{M}$ est la somme des moments dipolaires dans le matériau par unité de volume. En effet, si chaque composante du matériau (p. ex. chaque minéral dans une roche, ou chaque atome de fer dans un minéral) est caractérisée par un moment dipolaire $\boldsymbol{m}_i$, alors l’aimantation est donnée par

\[\boldsymbol{M} = \frac{\sum \boldsymbol{m}_i}{V} ,\]

où $V$ est le volume du matériau.

Quand le champ externe $\boldsymbol{H}$ est nul, les moments dipolaires dans le matériau sont distribués de façon aléatoire : la somme vectorielle des moments dipolaires est macroscopiquement nulle. Une illustration des moments dipolaires en absence du champ externe est montrée à la Figure 2.

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Figure 2. Schéma d’un matériau aimantable en absence d’un champ magnétique externe $\boldsymbol{H}$. Les moments dipolaires $\boldsymbol{m_i}$ des domaines magnétiques dans le matériau sont orientés de façon aléatoire et il n’y a pas de champ d’aimantation.

Quand le matériau est placé dans $\boldsymbol{H}$, ses moments dipolaires vont s’aligner dans la même direction que le champ externe. La somme vectorielle des moments dipolaires donne l’aimantation totale $\boldsymbol{M}$. Une illustration des moments dipolaires en présence de champ externe est montrée à la Figure 3.

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Figure 3. Schéma d’un matériau aimantable en présence d’un champ magnétique externe $\boldsymbol{H}$. Les moments dipolaires $\boldsymbol{m_i}$ des domaines magnétiques dans le matériau sont alignés avec le champ externe et il y a création d’un champ d’aimantation résultant $\boldsymbol{M}$.

La Vidéo 1 montre les moments dipolaires (flèches bleues) qui s’alignent en fonction de l’intensité du champ magnétique qui augmente (représenté par la flèche rouge qui grandit).

Vidéo 1. Illustration du concept d’alignement des moments dipolaires en fonction de l’intensité d’un champ magnétique externe appliqué sur un matériau.

Perméabilité magnétique

Il y a deux composantes qui contribuent au champ magnétique total à l’intérieur d’un matériau aimantable quand il est placé dans un champ externe. La première composante est celle du champ magnétique externe $\boldsymbol{H}$ et la deuxième est celle du champ d’aimantation $\boldsymbol{M}$. La densité de flux magnétique dans le matériau est donc reliée aux champs magnétique et d’aimantation par la relation suivante :

\[\boldsymbol{B} = \mu_0(\boldsymbol{H} + \boldsymbol{M}) ,\]

et d’après l’équation (2) ceci équivaut à

\[\boldsymbol{B} = \mu_0(1 + \chi_m)\boldsymbol{H} .\]

En comparant l’équation (5) à l’équation (1), on réalise qu’il est utile de définir une nouvelle quantité : la perméabilité magnétique $\mu$ du matériau, telle que

\[\mu = \mu_0(1+\chi_m) .\]

Une autre quantité est souvent rapportée dans les références, soit la perméabilité relative :

\[\mu_r = \mu/\mu_0 .\]

Il est important de comprendre que la susceptibilité magnétique ($\chi_m$), la perméabilité magnétique ($\mu$), et la perméabilité relative ($\mu_r$) sont toutes des quantités qui peuvent être retrouvées à partir de l’une d’entre elles. Les tables de références pour les propriétés physiques des matériaux utilisent donc souvent l’une ou l’autre de ces quantités. Dans ce cours (et en géophysique en général) la propriété pétrophysique qui nous permet d’interpréter les données de magnétométrie sur une base géologique est la susceptbilité magnétique.

Unités

La susceptibilité magnétique, comme la densité, est une propriété intrinsèque des roches et autres géomatériaux dont il est toujours préférable d’exprimer la quantité en unités SI. Cependant, on retrouve souvent la susceptibilité magnétique exprimée en unités CGS dans la littérature en géophysique pour des raisons historiques. La conversion de $\chi_m$ se fait des unités SI à CGS se fait avec

\[\chi_m [\textrm{SI}] = 4\pi\chi_m [\textrm{CGS}] .\]

Faites bien attention aux unités lorsque vous consultez des références plus vieilles.

Signe de la susceptibilité

Matériaux paramagnétiques : La susceptibilité des matériaux paramagnétiques est positive. L’aimantation dans ces matériaux ne peut se produire qu’en présence d’un champ externe.

Matériaux ferro-, ferri- et antiferromagnétiques : Ces matériaux sont caractérisés par un champ d’aimantation permanant, même en l’absence d’un champ externe. La susceptibilité magnétique des matériaux magnétiques est positive et généralement beaucoup plus élevée que celle des matériaux paramagnétiques.

Matériaux diamagnétiques : La susceptibilité des matériaux diamagnétiques (p. ex quartz, sel) est légèrement négative. Ces matériaux ont tendance à générer une faible aimantation dans la direction opposée au champ externe (ils veulent rester au repos).


Comment mesurer la susceptibilité magnétique

On peut mesurer la susceptibilité magnétique en laboratoire avec des appareils dédiés ou sur le terrain à l’aide d’instruments portatifs. Dans les deux cas, la mesure se fait par inductance, c’est-à-dire qu’on utilise un champ magnétique variable pour aimanter un petit volume d’échantillon de roche. Dans l’appareil, il y a un circuit qui inclut une bobine (élément d’inductance) et dans laquelle circule un courant à une fréquence bien précise.

Le principe de mesure est basé sur le fait que l’aimantation de la roche revient interagir avec la bobine, changeant ainsi la fréquence de résonance du circuit. Avec un appareil portatif comme le susceptibilimètre KT-10, la mesure se fait en 5 étapes :

  1. Prendre une mesure de référence dans l’air (où $\chi_m = 0$) pour avoir la fréquence naturelle du circuit.
  2. Placer l’échantillon dans le champ magnétique généré par l’appareil ($\boldsymbol{H} \neq 0$).
  3. L’échantillon devient aimanté ($\boldsymbol{M} \neq 0$) parce que ces moments dipolaires s’alignent.
  4. Le champ d’aimantation interagit avec la bobine dans l’appareil et change la fréquence de résonance du circuit.
  5. La susceptibilité magnétique de l’échantillon est calculée en comparant la fréquence de référence avec la fréquence mesurée en présence de l’échantillon.

Le laboratoire de géophysique appliqué de Polymtl est équipé de susceptibilimètres KT-10. Nous les utiliserons lors du levé magnétique à l’extérieur en fin de session.


Qu’est-ce qui détermine la susceptibilité magnétique d’une roche?

À toutes fins pratiques, c’est la proportion d’oxydes de fer dans une roche qui détermine sa susceptibilité magnétique. Cependant, les roches qui ne contiennent pas d’oxydes de fer sont tout de même caractérisées par une susceptibilité magnétique, mais celle-ci est généralement plus faible. On distingue au moins deux tendances dans la susceptibilité magnétique des roches. La première est la tendance des minéraux paramagnétiques et la deuxième est la tendance des minéraux ferro- et ferrimagnétiques.

Composition géochimique

Dans les roches qui ne contiennent pas d’oxydes de fer, c’est principalement le contenu en fer dans les minéraux paramagnétiques qui influence détermine la susceptibilité magnétique de la roche. La biotite est un exemple de minéral paramagnétique. Ces roches ne montrent pas de d”aimantation permanente (leurs moments dipolaires sont aléatoires quand il y a absence de champ magnétique externe).

Composition minéralogique

La proportion de minéraux ferro-, ferri- et antiferromagnétiques comme les oxydes de fer (p. ex. magnétite, hématite, maghémite), les oxydes de fer et de titane (p. ex. ilménite) et certains sulfures de fer (p. ex. pyrrhotite) contribuent tous à la susceptibilité magnétique d’une roche. La présence de magnétite est vraiment le facteur principal qui contribue à augmenter la susceptibilité magnétique par rapport aux autres oxydes de fer.

Dans une roche qui contient des oxydes de fer, il y a souvent une aimantation qui est permanente (on dit magnétisation rémanente), c’est-à-dire que les moments dipolaires sont déjà alignés dans une direction préférentielle. Dans les roches ignées c’est souvent le résultat d’un refroidissement rapide du magma, qui a préservé les moments dipolaires dans la direction du champ magnétique terrestre au moment du refroidissement. Autrement, la direction préférentielle de l’aimantation permanente peut être une conséquence de la structure cristalline des minéraux.

Estimation de $\chi_m$

Il existe quelques relations empiriques pour estimer la susceptibilité magnétique apparente d’une roche à partir de son contenu en magnétite. Si $\phi$ est la proportion volumique de magnétite dans une roche (en pourcentage), alors sa susceptibilité magnétique apparente est environ :

\[\chi_m = 2.6 \times 10^{-3} \phi^{1.11} .\]

Il existe quelques variations autour de cette relation empirique qui ont été rapportées dans la littérature [1]. La relation obtenue peut varier légèrement selon le protocole expérimental utilisé.


Valeurs typiques de la susceptibilité magnétique

D’un géomatériau à l’autre, la susceptibilité magnétique peut facilement varier de plusieurs ordres de grandeurs. Par exemple, une roche ignée felsique pourrait être caractérisée par une susceptibilité magnétique de $10^{-6}$ SI, alors qu’une formation de fer pourrait être caractérisée par une susceptibilité de 1 SI. En d’autres mots, la première valeur est tellement petite qu’elle rapproche de la sensibilité des instruments portatifs, alors que la seconde est 1 million de fois plus grande. Pour cette raison la susceptibilité magnétique est souvent représentée graphiquement sur une échelle logarithmique.

Matériau $\chi_m$ ($10^{-3}$ SI)
Air0
Quartz-0.01
Sel-0.01
Calcite-0.001 à 0.01
Sphalérite0.4
Pyrite0.05 à 5
Hématite0.5 à 35
Ilménite300 à 3500
Magnétite1200 à 19 200
Calcaire0 à 3
Grès0 à 20
Shale0.01 à 15
Schiste0.3 à 3
Gneiss0.1 à 25
Ardoise0 à 35
Granite0 à 50
Gabbro1 à 90
Basalte0.2 à 175
Péridotite90 à 200

Source des données : Magnetic susceptibility of geologic materials. UBC Department of Earth and Ocean Sciences.


Autres ressources

  • Le paléomagnétisme : ou comment étudier l’historique du champ magnétique terrestre à partir de l’aimantation des roches
  • Description plus détaillée des matériaux diamagnétiques, paramagnétiques, ferromagnétiques et (anti)ferrimagnétiques

Références

  1. Grant, F.S. et West, G.F. (1965). Interpretation Theory in Applied Geophysics. McGraw-Hill Book Co.

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Dernière modification : 2024-01-27 à 13:55:19.